L’Algérie face aux défis d’une guerre hybride: analyse géopolitique d’un conflit silencieux
Depuis 2020, l’Algérie traverse une période trouble marquée par des pressions multiformes venant de différents acteurs régionaux et internationaux. Si les bombes et les chars ne sont pas de la partie, les manœuvres diplomatiques, les campagnes de désinformation et les opérations d’influence constituent les armes d’une guerre bien réelle, mais invisible aux yeux du grand public. Notre enquête vous plonge dans les coulisses de cette guerre hybride qui façonne aujourd’hui le paysage géopolitique algérien.
Qu’est-ce qu’une guerre hybride et pourquoi l’Algérie en est-elle la cible?
La guerre hybride représente la nouvelle face des conflits internationaux du 21ème siècle. Elle combine plusieurs dimensions d’affrontement sans jamais franchir le seuil d’un conflit armé conventionnel. Dans le cas algérien, cette guerre prend diverses formes:
- Campagnes de désinformation orchestrées via les réseaux sociaux et certains médias
- Pressions diplomatiques allant jusqu’à la rupture des relations
- Opérations d’espionnage numérique ciblant des responsables et des institutions
- Soutien à des mouvements séparatistes pour déstabiliser l’unité nationale
- Manœuvres économiques visant à affaiblir les positions algériennes
L’Algérie, par sa position stratégique, ses ressources énergétiques et sa politique étrangère indépendante, cristallise aujourd’hui des intérêts contradictoires qui font d’elle un champ de bataille privilégié pour ces nouvelles formes d’affrontement.
L’axe Rabat-Tel-Aviv: une alliance stratégique contre Alger
La “carte kabyle” et la question du Sahara occidental
Le 1er juillet 2021 marque un tournant dans l’hostilité maroco-algérienne: l’ambassadeur du Maroc à l’ONU distribue officiellement une note diplomatique soutenant “l’autodétermination de la Kabylie”. Pour les observateurs, la manœuvre est claire: faire pression sur l’Algérie qui soutient le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
“Cette initiative marocaine révèle une stratégie du ‘donnant-donnant’ particulièrement dangereuse: tu contestes ma souveraineté au Sahara, je conteste ton intégrité territoriale en Kabylie”, m’expliquait récemment un diplomate algérien sous couvert d’anonymat.
Le scandale Pegasus: quand l’espionnage devient systémique
L’affaire Pegasus a révélé l’ampleur de l’espionnage numérique visant l’Algérie. Selon les enquêtes menées par le consortium Forbidden Stories:
- Près de 6000 numéros de téléphone algériens ciblés entre janvier et août 2021
- Des journalistes, des officiers supérieurs et des proches du président algérien piratés
- Un système triangulaire associant technologie israélienne et financement émirati
Les incendies criminels qui ont ravagé la Kabylie durant les étés 2021 et 2022 ont été attribués par les autorités algériennes à des réseaux liés au MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie), avec des soupçons d’implication marocaine.
Paris-Alger: quand la mémoire devient une arme diplomatique
La “rente mémorielle”: des mots qui pèsent lourd
En octobre 2021, les déclarations du président Macron questionnant la légitimité historique de l’État algérien avant la colonisation provoquent une crise diplomatique majeure. L’Algérie rappelle son ambassadeur à Paris et une vague d’indignation balaye le pays. Cette tension illustre comment la mémoire historique peut devenir un levier d’influence dans les relations franco-algériennes.
J’ai assisté personnellement à plusieurs conférences universitaires à Alger où ces propos ont été disséqués par des historiens qui y voyaient “une tentative à peine voilée de délégitimer l’État algérien moderne et de minimiser les conséquences de la colonisation”.
Opérations d’influence numériques
En décembre 2020, Facebook annonce la fermeture de 76 comptes pilotés depuis une brigade de l’armée française. Si Paris justifie cette opération comme une contre-mesure face à des campagnes hostiles, Alger y voit une opération coordonnée de dénigrement.
Plus récemment, en décembre 2024, la télévision algérienne diffuse un documentaire controversé montrant des repentis jihadistes affirmant avoir été recrutés par la DGSE française. Véracité ou manipulation? Quoi qu’il en soit, ces images nourrissent la méfiance envers l’ancienne puissance coloniale.
Le rôle d’Abou Dhabi: entre influence régionale et guerre de l’information
L’implication des Émirats arabes unis dans cette guerre hybride contre l’Algérie suit plusieurs axes stratégiques:

Lors de mon dernier séjour à Alger, j’ai pu constater combien ces manœuvres émiraties sont perçues comme faisant partie d’un plan plus large visant à isoler l’Algérie dans son environnement régional immédiat.
Bamako-Alger: la junte malienne dans le jeu des grandes puissances
Les relations algéro-maliennes, traditionnellement cordiales, se sont considérablement détériorées depuis les coups d’État successifs au Mali en 2020 et 2021. Cette dégradation s’inscrit dans un contexte plus large de recomposition des alliances régionales:
- Juin 2022: Bamako gèle unilatéralement l’Accord d’Alger de 2015 que l’Algérie avait parrainé
- Août 2023: Expulsion discrète de deux diplomates algériens, suivie d’une campagne d’accusations sur Telegram (dont les serveurs ont été localisés à Saint-Pétersbourg)
- Octobre 2024: Diffusion d’un reportage télévisé malien comportant de faux “avis de recherche” visant des personnalités algériennes
- Février 2025: Signature d’un accord sécuritaire entre Bamako et Rabat, perçu comme une provocation directe par Alger
“Le Mali est devenu un théâtre où se joue une partie d’échecs impliquant plusieurs puissances, et l’Algérie paie le prix de sa constance diplomatique”, m’expliquait récemment un ancien ministre des Affaires étrangères algérien lors d’un entretien à son domicile d’El Biar.
Washington-Moscou: l’Algérie au cœur de la bataille du gaz
La dimension énergétique constitue un élément central de cette guerre hybride. L’Algérie, puissance gazière majeure, se retrouve au cœur des tensions entre Washington et Moscou:
Pressions américaines et partenariat russe
- Septembre 2022: Menaces américaines d’appliquer les sanctions CAATSA suite aux achats algériens de systèmes antimissiles S-500 russes
- Hiver 2022-2023: Pressions de Washington sur Rome pour diversifier ses approvisionnements gaziers hors Algérie, alors que cette dernière est devenue le second fournisseur de l’Italie
- Janvier 2025: Signature simultanée d’un mémorandum de coopération défensive avec le Pentagone et finalisation de l’achat d’hélicoptères Mi-28 russes
Cette politique de non-alignement pragmatique irrite Washington qui voit l’Algérie maintenir des liens étroits avec Moscou, mais fascine Pékin qui y trouve un modèle de résistance aux pressions occidentales.
La riposte algérienne: une stratégie multidimensionnelle
Face à ces défis, Alger a développé une approche globale combinant plusieurs leviers:
Sur le plan juridique et informationnel
- Adoption de la loi 20-05 (avril 2020) criminalisant la diffusion de fausses informations
- Élargissement de l’article 87-bis du code pénal pour inclure le “terrorisme politique”
- Création d’une cellule de e-réputation au sein du ministère de la Communication
- Partenariat avec TikTok Algérie pour l’étiquetage des comptes inauthentiques
Sur le plan sécuritaire
- Renforcement des patrouilles frontalières équipées de drones de surveillance
- Organisation de l’exercice militaire Hoggar 2023, impliquant 10.000 hommes dans un scénario de réponse à une incursion séparatiste
J’ai pu observer lors d’une visite dans la région de Tamanrasset l’ampleur des moyens déployés pour sécuriser les vastes frontières méridionales du pays.
Sur le plan diplomatique
- Rupture des relations avec Rabat
- Refroidissement des liens avec Abou Dhabi
- Rappels successifs de l’ambassadeur algérien en France
- Signature de contrats énergétiques majeurs avec l’Italie, l’Allemagne et la Chine
Sur le plan identitaire et culturel
- Reconnaissance de Yennayer (nouvel an amazigh) comme jour férié national
- Enseignement de la langue tamazight dans les 48 wilayas du pays
- Augmentation de 40% du budget consacré à la culture amazighe
Ces mesures visent à consolider l’unité nationale face aux tentatives externes d’exploiter les diversités culturelles du pays à des fins de division.
Quels scénarios pour l’avenir?
À l’horizon 2026, trois trajectoires se dessinent pour l’Algérie dans ce contexte de guerre hybride:
Scénario 1: Désescalade contrôlée
- Médiation de l’Union Africaine et de la CEDEAO pour apaiser les tensions régionales
- Réouverture progressive de l’espace aérien entre l’Algérie et le Maroc
- Élaboration d’un accord régional de cybersécurité incluant des mécanismes de vérification
Ce scénario, bien que souhaitable, reste tributaire d’une évolution positive du dossier sahraoui et d’un recul des ingérences extérieures.
Scénario 2: Statu quo glacial
- Persistance d’une “guerre froide maghrébine” sans confrontation directe
- Utilisation continue du Mali comme proxy dans les tensions algéro-marocaines
- Maintien des lignes rouges empêchant une escalade majeure
C’est actuellement le scénario le plus probable selon la majorité des analystes que j’ai pu rencontrer entre Alger et Tunis.
Scénario 3: Escalade ouverte
- Cyberattaque d’envergure visant des infrastructures critiques comme le terminal gazier d’Arzew
- Incident frontalier grave dans la région de Tindouf
- Conséquences déstabilisatrices pour l’Europe méridionale et tout le Sahel
La preuve définitive: un document compromettant
En mars 2025, la fuite d’un mémorandum classifié “Secret-Eyes Only” vient confirmer les soupçons algériens. Ce document détaille:
- Le financement d’opérations de lobbying marocain auprès des institutions européennes à Bruxelles
- La livraison de capteurs SIGINT (renseignement d’origine électromagnétique) israéliens au Maroc
- Une campagne TikTok coordonnée au Mali, diffusant des vidéos humoristiques insinuant qu’Alger “protège les terroristes touaregs”
Ce document, dont j’ai pu consulter des extraits, porte les signatures d’un haut fonctionnaire marocain, d’un vice-ministre émirati et d’un consultant israélien, prouvant noir sur blanc la coordination des efforts contre l’Algérie.
Conclusion: l’Algérie à la croisée des chemins
L’Algérie n’est pas victime de paranoïa comme certains l’affirment hâtivement. Elle fait face à un ensemble coordonné de pressions numériques, diplomatiques et sécuritaires orchestrées principalement par l’axe Rabat-Tel-Aviv-Abou Dhabi, avec des soutiens ponctuels occidentaux.
La réponse algérienne s’articule autour du droit, de la technologie, d’une diplomatie sélective et d’un renforcement de la cohésion nationale. Mais l’année 2026 s’annonce décisive: désescalade, enlisement ou escalade? Si les cartes sont pratiquement toutes abattues, la société civile algérienne reste un acteur clé dont l’engagement déterminera en partie l’issue de cette confrontation.
Un élément crucial à surveiller sera l’impact de la transition énergétique européenne sur la carte maîtresse algérienne – ses ressources gazières – et par conséquent sur l’équilibre des forces au Maghreb.
Comme me le confiait récemment un vétéran de la diplomatie algérienne: “Notre pays a survécu à bien des tempêtes. Cette guerre hybride est un défi d’un nouveau genre, mais l’Algérie dispose des ressources morales et matérielles pour y faire face, à condition de rester unie.”
Questions fréquemment posées
La guerre hybride est-elle légale au regard du droit international?
Non. Bien que la cyberguerre évolue dans une zone juridique encore floue, l’ingérence dans les affaires intérieures d’un État, la diffusion délibérée de fausses informations ou le soutien à des groupes armés constituent des violations de la Charte des Nations Unies.
Que peut faire le citoyen algérien face à ces menaces?
Chaque citoyen peut contribuer à la résilience nationale en vérifiant systématiquement les sources d’information, en signalant les contenus suspects, en soutenant les médias indépendants et rigoureux, et en évitant de relayer des informations non vérifiées qui pourraient servir des agendas étrangers.