TENSIONS FRANCO-ALGÉRIENNES : L’ÉCONOMIE PRISE EN ÉTAU
Dans l’ombre des palais présidentiels où se jouent les grandes manœuvres diplomatiques, c’est tout un écosystème économique qui retient son souffle. La récente détérioration des relations entre Paris et Alger, cristallisée autour de désaccords diplomatiques profonds, inquiète désormais bien au-delà des cercles politiques traditionnels.
À l’heure où le thermomètre des relations bilatérales affiche des températures glaciales, le monde entrepreneurial français sonne l’alarme. Le signal est d’autant plus fort qu’il émane de la puissante organisation patronale française, le MEDEF, par la voix de son comité Afrique. Dans un communiqué diffusé cette semaine, l’instance a exprimé ses “vives préoccupations” face à cette tension qui pourrait, selon elle, fragiliser un édifice commercial patiemment bâti entre les deux nations.
“Nous sommes face à un paradoxe inquiétant”, confie sous couvert d’anonymat un industriel français implanté à Alger depuis vingt ans. “Alors que nos entreprises ont réussi à tisser des liens de confiance avec leurs partenaires algériens, les soubresauts diplomatiques menacent de balayer des années d’efforts.”
UN ENJEU ÉCONOMIQUE MAJEUR
L’enjeu est de taille. La France reste, malgré une concurrence internationale féroce, le deuxième fournisseur de l’Algérie après la Chine. Selon les données de la Direction générale du Trésor français, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 8,2 milliards d’euros en 2022, un chiffre qui témoigne de l’importance cruciale de cette relation économique.
Sur le terrain, plus de 450 entreprises françaises opèrent en Algérie, employant directement près de 40 000 personnes et générant environ 150 000 emplois indirects. Des secteurs stratégiques comme l’automobile, la pharmacie ou l’agroalimentaire constituent l’épine dorsale de cette présence économique française.
DES CRAINTES CONCRÈTES
“Notre crainte est que cette crise diplomatique n’entraîne un gel des projets d’investissement ou, pire encore, une révision des contrats existants”, explique Mounir Khaled, expert en relations économiques internationales à l’Université de Marseille. “Dans un contexte mondial déjà volatil, ce serait un signal catastrophique pour les investisseurs.”
Cette inquiétude est d’autant plus vive que l’histoire récente a déjà montré comment les tensions politiques peuvent rapidement se transformer en obstacles économiques. En 2021, l’Algérie avait suspendu son accord de transit du gaz via le gazoduc Maghreb-Europe et restreint les autorisations de survol de son espace aérien pour les avions militaires français.
APPEL À LA DÉSESCALADE
Face à cette situation, le MEDEF appelle à une “désescalade rapide” et à un “dialogue constructif”, soulignant que les intérêts économiques mutuels devraient prévaloir sur les divergences politiques. Une position partagée par de nombreux acteurs économiques des deux rives de la Méditerranée qui craignent que cette crise ne soit qu’un nouveau chapitre d’une relation déjà marquée par des cycles récurrents de tensions et d’apaisements.
DES INITIATIVES DISCRÈTES
Dans les coulisses, des initiatives discrètes se multiplient pour maintenir ouvertes les voies de communication. Des réunions informelles entre représentants économiques des deux pays se tiendraient régulièrement à Genève et à Dubaï, loin des projecteurs médiatiques. L’objectif: préserver le tissu économique bilatéral des dommages collatéraux de la crise politique.
“Les entreprises ont toujours été des bâtisseuses de ponts, même quand les gouvernements érigent des murs”, rappelle Soraya Benali, présidente de la Chambre de commerce franco-algérienne. “Nous espérons que cette fois encore, la raison économique saura tempérer les passions politiques.”
PERSPECTIVES INCERTAINES
En attendant, c’est toute une dynamique d’échanges et de coopération qui se trouve suspendue aux prochaines décisions diplomatiques. Pour beaucoup d’observateurs, la situation illustre une nouvelle fois la difficulté à séparer les sphères politique et économique dans cette relation franco-algérienne décidément jamais simple.
